Road trip à bord d'un van Hyundai H100

Les 315 000 bornes du Nautilus

Epitaphe pour un Hyundai H100

Elisa Routa est une journaliste et autrice française. Depuis près de 15 ans, elle couvre le monde du surf, l’univers street, les voyages ainsi que l’outdoor pour les magazines Surf Sessions, Surfer’s Journal, Swenson, Panthalassa  et Vogue. En novembre 2020, Elisa publie son premier livre Chroniques du Royaume aux Éditions Tellement. C’est le récit au quotidien de son année, racontée par petites touches à la fois marrantes et mélancoliques. C’est selon ses propres mots “un véritable virage dans sa carrière”. Photographe à l’ancienne (elle préfère les pellicules argentiques), elle publie des photos (essentiellement en noir et blanc) qui sont toujours un bon prétexte pour raconter (toujours et encore) de petites histoires.

On ne résiste pas au plaisir de vous en livrer une, véritable déclaration d’amour à un camion aménagé en fin de vie.

portrait d'Elisa Routa
Pellicules pour photographie argentique

J’ai plus de photos de ma diligence que de selfies

315 000 bornes. Si t’avais vu où on l’a fait rouler ; souvent des chemins étroits, des sentiers boueux, des pentes raides et des sens interdits. Ceux-là, c’est sûr, tu les aurais pris aussi. J’ai plus de photos de ma diligence que de selfies. Avec ses pupilles cabossées, sa rouille sur les flancs et son rétro en pendaison – l’oreille de Van Gogh sur un Hyundai H100 – son allure n’a pas toujours joué en notre faveur. Autant d’art et de poésie sur une carrosserie, on n’avait jamais vu ça. Mille matins, on a eu peur de se réveiller à la fourrière en pyjama.

Le van, c’était un genre de nouveau riche débarqué en province, du style à marcher avec des claquettes fabriquées en sac Ikea. Tout le monde ne le comprenait pas. Dans les virages serrés, des pellicules photos ont roulé jusqu’au trou du plancher ; perdues à jamais. J’ai souvent espéré qu’un mec habitant au abords d’une départementale les avaient faites développer. Je nous imaginais quelque part encadrées sur un meuble en cerisier.

On a poinçonné la carte de l’Europe

On a transformé des carnets en herbiers, lu des dizaines de bouquins, des bons, des mauvais, poinçonné la carte de l’Europe, rafistolé des rideaux vichy, réparé les étagères, changé le matelas et rembourré le lit avec des plaids et des cartons.

On a touillé des tonneaux de café soluble et bu du vin rouge dans des tasses en acier. Bon dieu, l’inox a le don de changer l’or en bijoux fantaisie. On s’est nourries aux nouilles et aux boites de maïs donnant systématiquement un goût métallique à nos dîners. On a écouté des matchs de foot les pieds nus dans le sable et partagé la vue des riches sans payer le loyer.

Road trip à bord d'un van Hyundai H100
surf trip sur la côte basque
carnet de voyage

Des douches dans un bidon de 5 litres

On a poussé le van, oublié les clés à l’intérieur et, depuis le toit, assisté au coucher du soleil sur les champs de blé. La marque ronde de nos fesses couronnait la place du conducteur, offrant un panier aux chats errant. On a fait vibrer l’aiguille du cadran et vu les sièges vapoter. On s’est arrêtées sur la bande d’arrêt d’urgence pour remettre de l’eau et refroidir le moteur. Le van, on l’appelait le Gainsbourg des autoroutes. L’aventure à 90 km/h. On a pris des douches dans un bidon de 5 litres et fait sécher des combis sur les portières. Nos vacances sentaient l’essence et les serviettes mal séchées. La nuit, nos pompes ont souvent dormi dehors avant qu’on ne les renfile à l’aube humide.

Je crois que, parfois, on faisait autant peur que pitié mais on ne s’est jamais senties autant chez nous que dans cette conserve périmée.

J’ai adoré aimer ce van

Moi qui ne connaissais rien aux bagnoles (la Tesla n’est pas une danse d’Amérique latine ?) j’ai adoré aimer ce van.

Hier, on a fini par dépunaiser puis déchirer le drap blanc qui faisait office de plafond. Pendant tout ce temps, neuf ans exactement, on a dormi juste au-dessous d’un œil géant, griffonné à la peinture pauvre sur une planche en bois. De longs cils envoûtants et des lettres indéchiffrables que vous aviez dessinés avec Stan, tous les deux il y a longtemps. On n’en savait rien mais c’était un bout de toi en berceuse chaque soir, et c’était lui aussi. Si t’avais été encore là, c’est sûr, t’aurais su raccommoder le Nautilus. Parce que c’était le tien, parce que y’avait que toi pour changer les citrouilles en carrosse et rendre l’or aux bijoux fantaisie.

Road trip dans les forêts des Landes
Road trip à bord d'un van Hyundai H100
Road trip à la campagne
Un bon café dans mon van
Réveil dans mon van en face du port

Texte et photos argentiques: Elisa Routa. Photos en couleurs : Angèle Debuire

RETOUR