Romane Peychet Lacaze, artiste invitée

Naturisme Ludique

Chaque saison, Bask in the Sun collabore avec plusieurs artistes plasticiens, photographes et illustrateurs pour ses imprimés de tees et sweatshirts. Depuis Biarritz, Romane Peychet Lacaze dessine des femmes nues aux prises avec des objets du quotidien. Un univers suffisamment loufoque pour l’inviter à signer toute une mini-collection estivale.

Qui es-tu ? D’où viens-tu ?

Native du Bassin d’Arcachon, c’est pour mes études d’art et de théâtre que je suis arrivée à Paris à l’âge de 14 ans. Dynamique, curieuse et pleine de vie, j’enchaîne alors mon école de théâtre puis des études de graphisme jusqu’en 2016 où je deviens illustratrice en freelance tout en gardant un œil grand ouvert sur la scène, le cinéma, la littérature et la mode qui sont également des moteurs dans mon épanouissement et mon travail.

Tu dessines (quasi) exclusivement des femmes nues. Pourquoi ?

J’aime la pureté du corps nu et la douceur des formes qu’elles représentent. J’ai grandi entourée de femmes fortes et indépendantes qui s’assument, libres, sans pudeur, au bord de l’océan et des plages naturistes. Un espace où se retrouvent tous types de corps, sans complexes. C’est sans doute pour cela que la féminité et la nudité sont naturellement devenus les moteurs de mon inspiration.
J’aime mélanger les femmes et les objets du quotidien, et j’aime dans mon quotidien voir des formes féminines partout. Mon dessin est très simple et très épuré, certains le qualifient de « naturisme ludique ». Je mets le minimum de traits possible pour que les deux éléments représentés finissent par n’en faire qu’un. Si je devais décrire mon travail en un mot ce serait « métaphorique ». Chaque chose que l‘on fait, que l’on vit, que l’on touche peut être une métaphore. Celle de la société, des stéréotypes de beauté, de la consommation amoureuse, amicale ou de la surconsommation tout court.

Mon travail est engagé. Je prend au pied de la lettre l’expression “femme-objet” pour jouer, mais aussi pour dénoncer le consumérisme, les dictats de beauté, la libération de la femme. J’appartiens à la génération des femmes “photoshoppées” dans les magazines, à l’excès sans que cela soit précisé pour le lecteur. J’ai donc grandi avec « l’image parfaite » inventée par la société au dépit de la femme de tous les jours. Mes illustrations sont ma façon à moi de dépeindre cette ère qui m’a longtemps complexée et m’a souvent fait sentir pas à ma place. La nourriture par exemple représente pour moi l’éphémère par excellence. Ça se dévore, se savoure et se termine et puis on recommence…

Ton style graphique est proche des auteurs de BD de la ligne claire. Il ne manque que des bulles de textes à tes personnages. Si elles parlaient, que raconteraient-elles ?

Mes personnages sont muettes et je crois bien qu’elles le resteront. C’est moi la narratrice. Je préfère laisser leur corps s’exprimer librement à la place d’une bulle de parole.

C’est nouveau, je commence aussi à dessiner des petites saynètes. C’est pareil, dans ces courtes histoires je ne leur donne jamais la parole car pour moi le corps parle de lui même. Ancienne introvertie je me souviens, enfant, retracer certains événements ou altercations de mes journées comme si j’en étais la narratrice. En récrivant ces scènes dans mon esprit, je reprenais le dessus sur mes déceptions ou mes peurs. Je pense que c’est pour cela que mes histoires courtes sont construites de cette manière, comme un court métrage, un mini documentaire de 3 ou 4 scènes seulement, le tout exprimé par une personne externe à l’histoire, comme une voix off qui prend du recul.

Quels sont tes outils et supports de prédilection ? Le carnet à l’ancienne ou la tablette digitale ?

Je n’ai jamais travaillé à la tablette. Au grand damn de mes anciens professeurs et amis illustrateurs. J’éprouve dans le dessin à la main l’exutoire que j’y cherche. C’est un support qui me fait du bien, comme un rituel, j’ai mes préférences.

Je dessine sur papier uniquement, d’abord au crayon de papier puis ensuite au feutre fin noir, avant de gommer le tout, oui oui, vraiment old school ! J’essaie au maximum de privilégier les matières recyclées ou qui ont un faible impact écologique, c’est donc pourquoi je me suis tournée vers un papier en bambou. Assez épais et légèrement jaunie il donne au dessin final avant colorisation un aspect un peu vintage qui me plait beaucoup, et surtout garde la ligne du feutre fin très clair.

Je n’ai jamais aimé travailler à la tablette car l’irrégularité a pour moi quelque chose de sentimental. Je trouve que le dessin numérique lisse les traits au point que l’œuvre en perd son charme et son authenticité, lui enlève un peu de vie et de sentiment. Je travaille tout de même avec des logiciels pour la couleur. J’aime bien la rencontre entre avec mon dessin imparfait et les aplats de la colorisation digitale. C’est mon côté paradoxale qui veut ça !

Pour Bask in the Sun, tu as réalisé un avocul, un diptyque avec une huitre, une pinacolada et des surfeuses. Peux-tu parler des ces dessins ?

Beaucoup de mes dessins ont un rapport à la mer. Ce sont deux sujets que j’aime particulièrement traiter. D’une part, parce que j’ai grandi en bord de mer. Je viens d’une famille de pêcheurs et d’ostréiculteurs, d’où le dessin avec l’huître. Mais aussi comme un clin d’œil au titre du tableau de peintre néerlandais Johannes Vermeer que j’aime tant : « La jeune fille à la perle ». Il arrive souvent que mes dessins naissent de titres ou d’expressions qui me font rire et que je m’amuse donc à détourner ou à illustrer.

Par ailleurs, la nourriture, et plus précisément la cuisine, tient une très grande place dans ma vie. En tant qu’épicurienne passionnée, c’est tout naturellement que l’aliment trouve sa place dans mes illustrations. On y retrouve des fruits et des légumes comme l’avocat, d’où le jeu de mot et le dessin de « l’avocul ». La Pina Colada, elle, fait partie d’une série qui explore les tables d’apéritifs. J’ai dessiné des mojitos, des Ricard « ricul » et des Spritz. Toujours dans un univers extrêmement féminin. On pourrait dire que je suis la femme illustrée qui nage et se noie dans des mélanges colorés inspirés de mes soirées arrosées…

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